Premier Instant  (2021/2023)

"L'enfance, j'ai remarqué, c'est d'abord une lumière particulière. C'est un monde de sensations qui semble allergique à la réflexion. La mémoire est une banque où l'on fait constamment des emprunts et des dépôts. La bibliothèque de l'enfance est immense", Danny Lafferrière, Journal d'un écrivain en pyjama, 2013

 

  • 001
  • 002
  • 003
  • 004
  • 005
  • 006
  • 007
  • 008
  • 009
  • 010
  • 011
  • 012
  • 013
  • 014
  • 015
  • 016
  • 017
  • 018
  • 019
  • 020
  • 021

Je pensais aborder le thème de l’enfance et de la mémoire depuis quelques années déjà, mais l’actualité (les confinements successifs que nous avons vécu depuis mars 2020) a accéléré ce retour sur soi. Puisque les voyages et l’extérieur nous sont devenus interdits, je voyage dans les souvenirs. Convoquer le « premier instant », c’est-à-dire le tout premier souvenir de son enfance, c’est solliciter le « grand grenier », et revivre un monde de sensations, une émotion brute et organique (la réminiscence d’une odeur, d’une voix, d’une atmosphère, d’une lumière). Ce reflux autobiographique échappe à tout processus intellectuel, il est instinctif.
Les neurosciences évoquent aujourd’hui l’ « amnésie infantile », c’est-à-dire l’absence de souvenirs personnels avant l’âge de 3 ans pour un être humain. Après cet âge, des « éclairs de conscience » reviennent. Pourquoi tel souvenir précis ressurgit et non un autre ? C’est là le grand mystère de la mémoire épisodique et sélective… Créer, c’est se remémorer et revivre les premières impressions qui nous ont ému, des lieux, des paysages, des êtres aimés. C’est cette approche primaire, primitive et viscérale que j’ai cherché à appréhender dans cette série. Retrouver la fraîcheur, l’énergie et les fulgurances des premiers instants de vie.
En premier lieu, j’ai exploré mon histoire personnelle, puis, en interrogeant mes proches et en écoutant le vécu d’écrivains, de musiciens ou de personnalités, j’ai jugé cette introspection passionnante, et pensé que ces expériences multiples et riches devaient être partagées. Ce travail de mémoire est également un défi plastique et visuel : comment traduire en peinture et sur une surface plane, une expérience sensorielle plutôt qu’une pensée ?
Mes souvenirs sont relativement tardifs (7-8 ans) et très liés à des moments heureux de vacances d’été en Bretagne. Dans le tableau « Lilia », je souhaitais représenter l’infini et la plénitude. Au commencement naît l’émerveillement. L’espace, la beauté d’une nature sauvage, les marées, et la limpidité de la lumière, si particulière dans le Nord Finistère, apparaissent comme un rêve. Les enfants sont des lilliputiens, dans cette vaste étendue, ivres du Grand Dehors. L’olfactif ne triche pas : les fragrances volatiles de terre, d’algues et de fougères ont été les premières à me saisir et me replongent instantanément, aujourd’hui encore, dans le pays de l’enfance. La fougère aromatique déclenchait, chez moi, une ivresse, une vitalité ; elle dégageait des envies irrépressibles de liberté. 
« Une vie sans mémoire ne serait pas une vie. Notre mémoire est notre cohérence, notre raison, notre sentiment et même notre action. Sans elle, nous ne sommes rien ». Luis Buñuel (Mon dernier soupir, 1982).